Pour la première fois, l’histoire complète et détaillée des Vhutemas est publiée : mille pages, deux mille illustrations en deux volumes étonnants. Les Vhutemas soviétiques Institut Supérieur d’Art et de Technique furent crées en 1920 avec la volonté d’un renouvellement radical de l’enseignement artistique. Ils sont restés jusqu’ici restés bien moins connus que le Bahaus allemand. Les professeurs : Rodchenko,Melnikov, Ladovski, Vesnine, Popova… y mènent un travail corollaire de celui des avants-gardes. L’expérience de la perception, celle de l’espace, du volume, de la couleur, apparaît comme le centre de la réflexion. Ladovski ouvre avec Korolev un laboratoire pour l’étude de la forme de la perception : le laboratoire psycho-technique d’architecture. Une pièce spéciale y est aménagée dont les murs, le plancher et les plafonds sont entièrement peint en noir pour y étudier la faculté de s’orienter dans l’espace : coordination horizontale et verticale, orientation, représentation, imagination et combinaisons spatiales. Ladovski construit lui-même une série d’instruments afin de mesurer la précision de la perception mais aussi de développer la perception elle-même. La perception sans cesse interrogée dans un effort tendu et passionné pour saisir la nature de ce qui la porte. Cette vigilance exercée à saisir pour les fixer, la forme et la couleur de l’impression qui se produit en nous est partout présente, comme dans les réponses que donne Lioubov Popova à un questionnaire établi par Kandinski, des réponses appliquées, inspirées, intenses. Elle dit «Le noir ne possède aucune forme déterminée et varie selon la nuance ou la proximité des autres couleurs. Placé près du violet, le noir forme un angle extrêmement aigu, presque plat; près du bleu il dessine un angle droit; près de l’orange et du jaune, c’est une forme très étroite qui ne présente aucune ligne courbe. Le blanc au contraire ne présente aucun angle, mais uniquement des lignes courbes ; il ne présente aucune ligne finie. Qu’y a-t-il de plus pertinent que ces enquêtes têtues méthodiques et enthousiastes menées par des professeurs et des étudiants investigant ensemble la nuit moderne?
Bien qu’absurde — ou peut être à cause de cela — la question de ce qu’auraient été les Vhutemas disposant de la technologie d’aujourd’hui est intellectuellement plaisante, particulièrement dans le cadre d’Ars Technica. Si l’on voulait en développer l’hypothèse, il faudrait essayer d’imaginer comment l’outil informatique serait exploité en se souvenant de la place donnée par les avants-gardes soviétiques à la psychologie et à la perception en tant que phénomènes. Question dont j’ai tenté un des aspects avec le petit texte qui suit.(1)
S. Khan-Mangomedov, Vhutemas, textes et iconographie établis, présentés et annotés par Arlette Barré-Despond, Editions du Regard 1991
(1) Que voit-on quand on ne regarde pas? ATn°4