Il y a confusion entre le secret de la vie elle-même et la manipulation – toute mécanique – des gènes. «Les généticiens ne travaillent pas sur du vivant, mais sur des molécules.», dit Jacques Testart à André Comte Sponville au cours d’une série d’entretiens à l’origine de Nos mains sous la neige et La machine à laver le temps. La notion de progrès qui y est évoquée, doit être regardée de près, ainsi que cette idée saugrenue que la science puisse, en quelque façon, faire reculer l’inconnu.
Le plateau est divisé en trois parties qui correspondent à trois grandeurs du monde : microcosme et macrocosme séparés par un espace intermédiaire et central occupé par un laboratoire. Les comédiens représentant des généticiens accèdent au microcosme en passant (physiquement) par (de grands) microscopes où ils se livrent à des manipulations moléculaires spectaculaires et dont les résultats apparaissent de l’autre côté du laboratoire dans la partie macrocosme.
L’action s’engage avec un couple apparemment décidé à procréer, dans une époque où l’on comprend que l’eugénisme est de mise. Les postulants parents s’adressent alors à un laboratoire de biologie, ici représenté par un Garage. Le symbole d’un garage, dans lequel opèrent un garagiste et son associé, insiste sur l’aspect mécanique de la manipulation moléculaire – de fait, les métaphores populaires ne manquent pas qui rapprochent la mécanique, voire la plomberie, et le fonctionnement physiologique. Cela permet d’une manière outrée, voire naïve, de faire spectacle de procédures scientifiques abstraites.
L’enfant est ainsi “commandé”, comme on le fait d’une automobile. Une erreur intervient : l’enfant ne sera pas du sexe décrété par le couple : c’est une jeune fille! —il est à noter que les enfants crées par les garagistes scientifiques sont sans âge : c’est que le génome porte toutes les étapes d’une vie… (cela permet par ailleurs de limiter sensiblement la durée de la pièce.) La jeune fille s’enfuit après s’être emparée de son génotype. Le “garagiste” Loustroles est sommé de réparer cette erreur. L’intervention du hasard, pourtant largement proscrit par l’époque, génère un autre personnage : cette fois c’est bien un mâle, mais il est bleu…! L’enfant est derechef refusé par les parents commanditaires. Comme la jeune fille qui l’a précédé, l’homme bleu lui aussi, dans une action toute faustienne, s’empare de son propre génotype. Le mythe de Faust, à différents titres, sera présent dans la pièce, mais le personnage de Faust, et de son terrible compère mental qui lui donne la réplique, se sont, comme toutes choses, spécialisés et divisés avec le temps : à la place d’un Méphisto unique, le “Garagiste Scientifique” Loustroles aura à faire à un Méphistophélés complexe : d’une part Homère, qui se compose d’un ivrogne Saturne et de deux sœurs jumelles Io et Callisto. Ces trois personnages matérialisent les idées et les contradictions, de Loustroles ils expriment son monologue intérieur. Ainsi ses pensées vont et viennent, s’écartent ou se font pressantes, disparaissent et reviennent… et d’autre part son associé discret mais terriblement actif.
Loustroles, sera attiré par la mystérieuse nourrice Gaïa qui fait référence aux théories optimistes de l’écrivain et scientifique britannique Lovelocke. Loustroles s’interroge sur l’Homme Bleu double aléa de la biotechnologie, puisque si d’une part il en procède, il est d’autre part issu d’un hasard comme celui dont la nature use habituellement pour sélectionner les gènes. La défiance du garagiste scientifique Loustroles envers la pratique “garagiste”,prend corps petit à petit. Son associé se révèle être beaucoup plus qu’un assistant, un instigateur, un manipulateur et le serviteur convaincu d’une société aveuglée par une vision publicitaire du progrès. Un associé presque silencieux… à l’exception de bourdonnements sporadiques qu’il émet à chaque fois qu’il est question du présent : car seule l’action présente, l’action actuelle, pourrait avoir prise sur lui. Aurait pu …: nous pensons qu’il est déjà trop tard.