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Dans un grand cube en verre du sable s’écoule… Mais déjà : dans quel sens s'écoule-t-il ? Irait-il vers le sol ?— on sait bien dans quel sens vont les choses qui subissent la pesanteur. Mais justement: si je regarde vers le haut du cube, j’y vois le sol! des parterres, les allées d’un jardin, et puis j’y vois aussi la lune, énorme, nette, proche, détaillée avec ses cratères d’ombres.
Allons! pensez-vous : qui se demande en quel sens tombe le sable et s’étonne de voir la lune en levant les yeux? celui-là aura sans doute abusé du Jasnières. — Non! Il n’a pas trop bu de Jasnières, celui-là. En boit-on d’ailleurs jamais trop?
Je l’affirme : je vois dans ce cube, là-haut, des parterres fleuris, les allées d’un grand jardin public et sur ces allées, des enfants qui courent la tête en bas. Et au milieu : la lune. La lune, qui, selon Sir George H. Darwin (et d’après Italo Calvino), il n’y a pas si longtemps, était toute proche de la terre. On pouvait même la toucher! Nul doute qu’elle ait à nouveau posé là son ventre, la lune. Sur les allées, autour du ventre de la lune, les enfants courent vers le cube de verre qui est nommé par l’instituteur: sablier! un gros sablier. Repris par des cris interrogatifs, affirmatifs, émerveillés ou incrédules, le mot est clamé sur tous les tons. Beaucoup voudraient jouer avec le sable, mais il est hors d’atteinte, le sable, comme le sont les étoiles (en raison de leur petite taille,) et comme le feu (parce qu’il pique), et comme le fleuve (parce qu’il est trop grand) : on ne peut prendre en main ce sable là parce qu’il est enfermé dans une autre dimension. Comme les étoiles, le feu et le fleuve, le sable est une matière première du temp, celui de l’écoulement. Et peu importe que le feu s’écoule en fumée, le fleuve en mer, les étoiles en infini, et le sable… en sable, cet écoulement là nous apparaît à la fois immobile et inépuisable. Un enfant nous informe : Tous les jours, y’a un ange qui rajoute du sable.
On répète si souvent qu’on ne voit pas le temps passer. Et bien cette fois on le voit. Pour une fois il se montre. Spectacle hors normes où dans dans cube de verre, le temps se dévoile : ICI, ON VOIT LE TEMPS PASSER pourrait en être l’enseigne. Ici, exceptionnellement, grâce à cet appareil, le temps se laisse saisir, se laisse comprendre. Le sourcil du lecteur se soulève-t-il ? Comprendre le temps! le voir? Pourquoi, pendant qu’on y est, ne pas prétendre révéler le secret de la création du Monde! ou celui, à peu près de même ampleur, de la vinification du Jasnières! Ce qu’oublie le lecteur, c’est un le phénomène d’hypnose. Aussi longtemps que le regard fixe l’écoulement du sable, du feu, du fleuve ou de la nuit, le temps, alors, se révèle pour ce qu’il est ; mais aussitôt quitté des yeux la révélation disparaît et le souvenir même qu’il y ait eu révélation. Amnésie totale. On se demande à nouveau où l’on court, accompagné d’une ombre et d’un rien de vent frais : pendant qu’on étati là à rêver, ce ventre de lune, si grand, a fini par cacher le soleil! Tout se grise. Les enfants, les pieds en l’air chaussent des lunettes noires. Le monde est chaussé de lunettes de soleil, le ciel aussi est noir. La lune tourne son ventre. De l’autre côté du ventre de la lune, eh bien : c’est le derrière de la lune. Et le derrière de la lune, le croirez-vous, est noir a en éteindre le soleil! Le sable s’écoule. Comme une grosse chatte paresseuse, la lune se tourne encore. Ouf! le soleil se rallume.

Jean-Max Albert
juillet 2001